Un dimanche ordinaire à la maison , le téléphone sonne .
C'était Ghislaine, ma collègue et copine de bureau qui m'annonçait avoir trouvé une jolie chatte abandonnée dans sa rue. Jusque là rien que de très banal. En effet Ghislaine passait son temps à recueillir tous les greffiers perdus de la rue Daguerre et l'artère est longue de Denfert à Montparnasse, elle avait de l'ouvrage .
Seulement, voilà, en ce jour peinard de repos, la copine avait décidé qu'en réunissant nos efforts nous allions bien dégoter un foyer à cette jeune minette . Ne pouvant , ni elle ni moi faire office de gardienne par intérim, nous devions trouver une solution de rechange. Son idée géniale était d'aller mettre à l’abri le petit animal tout simplement « au bureau » sis avenue d'Italie et plus précisément au meilleur étage, à savoir celui agréablement pourvu de terrasses paysagées qui ferait un logement idéal pour un chat en attente d'adoption. Le fait que le 8e en question était celui de la direction n'était pas, semble-t-il, un élément faisant obstacle à sa détermination.
Je manquais d'enthousiasme, mais après tout, elle était secrétaire du boss et c'était surtout elle qui devra convaincre du bien fondé de transformer les locaux de l'entreprise en refuge SPA temporaire .
Elle ne me demandait qu'une collaboration relative et surtout de participer activement à la recherche d'un bon foyer. Elle eut finalement raison, ce ne fut pas trop difficile d'expliquer à l’aréopage du management qu'il n'y avait rien de terrible à garder seulement quelques jours une minette orpheline . Le PDG fut magnanime il aimait le pittoresque et peut-être même les chats , ce qui n'est pas incompatible.
Il fallait quand même faire vite et efficace . Toute la boite fut passée au peigne fin , démarchage des clients potentiels à tous les niveaux .
Par chance , un couple de jeunes collègues venait d'acheter sur les hauteurs de Verrières-le-Buisson , une grande maison avec jardin, le tout dans une impasse : le cahier des charges était parfait .
Les connaissant bien tous les deux , je savais que si Catherine n'était pas une adepte des greffiers , son cher et tendre avait, lui ,la fibre féline .
L'affaire fut assez vite conclue , la bestiole embarquée sans laisser trop de temps à la réflexion. Nous avions mis sournoisement dans notre argumentaire la joie que leur petite Élise aurait à s'occuper d'un si gracieux animal.
La minette vagabonde devint « Câline « propriétaire d'un beau territoire sur le coteau de la vallée de la Bièvre , à deux pas de la demeure de Louise de Vilmorin. Elle se maria avec le gros matou de la maison d'en face, vécut longtemps heureuse sans avoir beaucoup d'enfants.
J'ai souvent imaginé le fantôme d'André Malraux venant lui murmurer à l'oreille qu'il avait connu personnellement le chartreux de Charles de Gaulle , que c'est lui qui avait inventé la fable sur les chats d' Azincourt , que son plus beau chat s'appelait « Essuie-plume » . Et pour lui faire trembler les vibrisses de son museau de chasseresse , lui raconter comment les Vilmorin avaient fait fortune dans le commerce des graines pour oiseaux.
Brigitte Follys , juillet 2016