Achille fut un chat persan « fin de siècle ». Il a vécu assez vieux, mais n'a pas souhaité entrer dans le XXIe siècle, ou si peu.
Il était tranquille, d'une indéniable et noble beauté, affectueux comme un pot de colle, ce n'était pas une peluche il avait à la fois de la douceur et du caractère.
Ses premières années furent très sédentaires dans le huis clos d'un appartement parisien puis vint-le temps plus agité de migrations répétées entre ville et campagne. Quelque chose comme l'histoire du chat des villes et du chat des champs.
Il a su s’adapter.
Certains matins, Achille comprenait très vite qu'il n'allait pas buller à son aise de fauteuil en canapé et que la journée serait longue comme un jour sans croquettes.
Il connaissait la première étape : la voiture. Ce n'était pas la plus pénible, tout juste une bonne heure dans le tracas des encombrements urbains. Il m'arrivait de l'encourager lorsque je perdais patience, croyant faire de la féline empathie : « Écoute mon lapin, pour moi c'est comme ça tous les matins, alors tu n'as pas à te plaindre »
Comme il était classieux, il ne m'a jamais répondu : « d'abord je ne suis pas ton lapin, nous n'avons pas gardé les mulots ensemble et puis je me tiens parfaitement. »
L'étape suivante était pour lui la plus longue de la journée, à savoir subir huit heures de la vie de bureau et ses agitations. Dure époque !
Il avait son fan club et était un tantinet ….cabot (j’ose). Parmi ses groupies, une propriétaire de deux superbes chats Russes à la pelisse bleu-gris .Quant aux autres, ils savaient que si la porte de mon bureau était fermée c'était qu'il y avait un visiteur de marque à ne pas laisser filer.
Les chats ont en général une aptitude à pratiquer la méditation zen et lui en particulier ; peut-être était-il rassuré, car il retrouvait l'odeur de mon parfum et celle de mes cigarillos. Quelle époque !
Le temps passait vite ou pas …. Venait à nouveau la contrainte du panier de voyage et le passage dans le souterrain métropolitain. À ce stade, le mieux pour moi était de feindre la plus profonde indifférence, je pestais en silence contre lui, car il n'était pas léger. Pour être honnête, j'avais de la culpabilité à lui infliger une punition si peu méritée. Qui ne connaît pas les agréments du métro ne peut comprendre son ambiance particulière, le bruit métallique de la rame entrant en station, le brouhaha de fond des voyageurs, l'odeur fétide, aigre qui s’exhale dans les couloirs , le monde sur les quais .Triste époque !
Ce n'était pas tout, la journée s’étirait, pas le chat. Encore une épreuve. Il pensait : ces humains sont inhumains et pervers pour inventer autant de moyens de transport plus bruyants, plus stressants, plus puants, les uns que les autres alors que 4 pattes suffisent bien à faire de bonnes balades.
Toujours stoïque, l’Achille, en montant dans le TGV .Encore deux heures à endurer, entassé dans le compartiment à bagages, amalgamé avec les valises à roulettes, quelle décadence pour cet aristocrate délicat.
Parfois un contrôleur interpellait : c'est à qui ce panier à chat ? Car non contente d’être une tortionnaire, je resquillais le prix de sa place.
Bon, je dois reconnaître la magnanimité à la SNCF sur ce coup. Belle époque !
Enfin, dernière étape pour ce patient voyageur, un peu de trajet en voiture pour rejoindre le hameau
Au bout du compte La délivrance miaou, miaou, le bon air, se précipiter sur l'herbe odorante, courir pour se remettre en jambes (et de menues nécessités). À moi campagnols, petits oiseaux, à moi verdoyante campagne, à moi mon territoire rural et je serais, tel un hobereau récupérant patrimoine, d'une féroce attitude pour celui qui viendra sur mes terres ! Fabuleuse époque !