Cette chatte-là était adulte lorsqu’elle m’a été donnée. C’était une Siamoise de robe chocolat point, d’allure élégante et gracile.
L’histoire commence au bureau avec ma PDG d’alors qui m’avait confié ses tourments :
- « Brigitte , je suis très contrariée » , me dit-elle , en roulant les « r « selon l’accent de la langue roumaine qu’elle avait fort prononcé , c’est que j’ai trop de chats à la maison !!!ajouta-t-elle sur un ton dramatique . Elle résuma :
-« j’ai un grrand amourrr pour ces siamois si beaux avec leurs magnifiques yeux bleus comme l’azur , ils sont si élégants si attachants si sensibles…( soupirs) que je n’ai pas résisté à en avoir un, puis deux, puis trois, puis quatre. Et la !! caataastroophe c’est qu’ils ne s’entendent pas du tout, c’est la guerre, le désastre. Surtout pour la petite Julie qui est rejetée par ses congénères ….une véritable coalition contre elle, la malheureuse . Elle s’est réfugiée sur le haut des placards de la cuisine , vous imaginez ! Je dois monter sur un escabeau pour lui apporter de la nourriture et lui nettoyer son plat de pipi-caca !
Il faut appeler un chat, un chat ,je voyais venir l’embrouille . Je dirais même plus : c’était un abus d’autorité sur personne rendue vulnérable par son inclination envers la gent féline .Et puis , si j’étais admirative sur les talents de docteur en psychologie et de psychanalyste de la dame , je m’interrogeais sur ses talents d’éthologue , comme quoi personne n’est parfait .
C’est vrai que l’appartement se trouvait bien vide, il y avait bien mon amoureux, mais pas encore d’enfant et bizarrement pas de chat non plus, j’étais pile-poil dans la cible. Alors , pourquoi pas cette petite siamoise rejetée , tourmentée par ses coreligionnaires et dont plus personne ne voulait ?
Un peu par curiosité, beaucoup par lâcheté, j’ai accepté de récupérer la minette aux pattes couleurs chocolat, mais à l’essai, genre foyer d’accueil, j’avais quand même ma fierté. Difficile début , elle miaulait tristement jour et nui , réfugiée sous un pan de rideaux d'une chambre où elle ne décarrait pas . Nous lui apportions nourriture et plateau de propreté sur son campement. Bon, elle avait quitté le plafond pour le plancher, une étape de franchie, en quelque sorte. Au bout de 8 jours, notre patience commençait à s’émousser, je suis passée chez le véto, il m’a vendu des pilules calmantes à lui administrer. Cela n’a pas été nécessaire, elle a cessé de pleurer le jour même.
Ce fut une chatte douce et sans malice, pas un poil de névrose. Son ancienne maîtresse avait
certainement durement travaillé avec elle en séances d’analyse, avec divan pour la minette. Je ne me souviens plus si la thérapeute était lacanienne ou de l’école de la cause freudienne, mais le transfert avait été positif, au moins le transfert d’appartement…
Un an plus tard, j’ai attendu ma fille. Julie se couchait sur mon ventre arrondi et ronronnait . Je me suis toujours demandé ce que mon bébé pensait de cette vibration et s’il croyait que c’était moi qui produisais ce son de turbine.
Lorsque je suis rentrée de la clinique avec Delphine, Julie s’est approchée et a humé
consciencieusement, centimètre par centimètre, le tour du couffin puis elle a regardé attentivement ce qu’il y avait à l’intérieur et elle a repris son exploration olfactive. Nous n’étions pas inquiets, ce n’était pas une chatte sans cœur. Tout s’est bien passé, il a fallu que chacun s’adapte, à sa manière, au bouleversement de l’arrivée d’un enfant, le plus difficile a été d’interdire à la minouche la chambre de notre petite princesse.
Julie a vécu avec nous pendant une dizaine d’années. C’était surtout une chasseresse d’oiseaux. Elle réussissait à les choper depuis le balcon de l’appartement parisien. L’été, dans la maison du bord de mer, elle se plantait pendant des heures sous les nids d’hirondelles et attendait l’éventuelle chute d’un hirondeau .
À part cela c’était une chatte très distinguée.
Brigitte du Poitou
Janvier 2016