On l’avait appelée Isis. Comme la déesse égyptienne. On dit que les égyptiens ont été les premiers à domestiquer les chats. Ils avaient même une déesse à tête de chat appelée Bastet. Mais Bastet nous paraissait trop compliqué pour une petite minette de gouttière d’à peine trois kilos. Alors nous avons décidé que Isis lui allait mieux.
Nous étions allés en région parisienne. Mon petit fils avait des problèmes respiratoires. Ma fille m’avait appelé à l’aide. Cela faisait plusieurs nuits que ni elle ni son mari n’arrivaient à dormir à cause des pleurs et des difficultés respiratoires de mon petit fils. Il faut bien que les grands parents servent à quelque chose. Et cela nous donnait une occasion de les revoir…
En entrant chez elle, dans le petit jardin devant sa maison, nous avons trouvé un chaton qui miaulait avec insistance en nous regardant de ses grands yeux et qui essayait de se faufiler entre nos jambes pour entrer dans la maison. Le message était clair : « Adoptez-moi. Laissez-moi entrer dans votre maison. Je ne peux pas vivre dans la rue ». Elle avait choisi ce jardinet car ses grilles la protégeaient à la fois des chiens et des véhicules. Nous avons résisté. Mon beau fils et moi souffrons d’allergies. Nous craignions que mon petit-fils en hérite. Donc pas de chat dans la maison.
Son pelage noir et blanc n’avait rien d’extraordinaire mais elle l’a toujours gardé dans un état impeccable. Nous ne pouvions pas rester insensibles à ses miaulements désespérés et ses grands yeux à la fois insistants et étonnés. Alors nous lui avons donné un peu de lait qu’elle a lapé en ronronnant de plaisir.
Le lendemain ma fille lui a acheté des croquettes. Puis nous lui avons bricolé un petit abri pour la nuit avec une boite en carton. Mais à chaque départ ou retour de la maison, lorsque nous devions traverser le jardinet, nous avions droit aux mêmes regards implorants, les mêmes miaulements et les mêmes manœuvres pour se faufiler dans la maison.
Au bout de quelques jours il a fallu revenir dans notre campagne. J’ai demandé à ma fille ce qu’elle comptait faire du chaton. Elle m’a dit de ne pas me faire de souci. Elle allait mettre une annonce dans Facebook pour la faire adopter.
Mais je ne pouvais pas me résoudre à la laisser partir à l’aventure. Après un court échange avec mon épouse, nous avons décidé de la ramener avec nous. Notre maison est assez grande et en lui interdisant l’accès aux chambres les problèmes d’allergie devraient être limités.
Comme nous avons deux chiens et ce n’était pas gagné d’avance. J’ai décidé de la prendre dans mes bras pour la présenter à nos chiens. Mauvaise idée. Dès qu’elle les a vus elle a hérissé ses poils et m’a planté ses griffes dans le bras en crachant comme si elle était un grand fauve.
Nous lui avons arrangé une cage à partir d’un carton que nous avons installé sur le siège arrière du break. Nous pensions ainsi être tranquilles pendant les quatre heures de voiture du retour. Les chiens ont l’habitude de la voiture et en général ils dorment dans le coffre pendant tout le trajet.
En arrivant sur le périphérique, j’ai regardé dans le rétroviseur et vu avec horreur une petite boule de poils qui se baladait sur la plage arrière. Si les chiens la remarquaient et qu’une poursuite démarrait dans le break cela risquait de tourner à la catastrophe. J’ai dû sortir en vitesse du périphérique, récupérer la petite boule de poils, la remettre dans sa boite, colmater tous les trous, remettre la boite sur le siège arrière et la bloquer avec un sac lourd pour éviter une nouvelle fugue.
Je pensais être tranquille. Mais la souplesse d’un chaton est incroyable. Quelques kilomètres plus loin la petite boule de poils était réapparue et avait repris son exploration de la voiture. Nouvel arrêt, nouvelles mesures. Nous avons installé la boite entre les pieds de ma femme sur la place passager. C’était assez inconfortable pour elle. Elle a passé le reste du voyage à essayer de colmater toutes les ouvertures où elle voyait apparaître une petite patte ou une tête. A l’arrivée elle était un peu courbaturée.
Nous avons fait une halte à Orléans pour lui acheter un bac, de la litière, des croquettes, un arbre à chats ; enfin tout ce qui permettrait à la petite boule de poils de se sentir à l’aise car à l’arrivée chez nous les magasins seraient fermés.
Dès l’arrivée elle a commencé l’exploration de la maison. Le bac et la litière ont été vite repérés et utilisés, les croquettes avalées et l’arbre à chats superbement ignoré. Nous avons divisé la maison en une zone chat, une zone chiens et une zone interdite aux animaux. Il ne restait plus qu’à s’assurer que ce règlement serait respecté par tous.
Une première visite chez le vétérinaire nous a permis de découvrir que la boule de poils était en bonne santé mais que ce n’était plus un chaton. Elle avait au moins six mois et était donc en âge d’avoir des bébés si elle rencontrait un matou entreprenant.
Nous avons pris rendez-vous pour la vacciner et pucer. La grosse seringue contenant la puce a dû lui faire mal. Immédiatement elle s’est retournée vers la vétérinaire toutes griffes dehors avec un miaulement menaçant. La petite boule de poils toute en douceur avait dû apprendre à se défendre et savait montrer quand il le fallait qu’elle avait aussi du caractère.
La vétérinaire a voulu nous montrer des chatons qu’elle avait recueillis. Dès qu’elle les a posés sur la table où se trouvait Isis, elle s’est instantanément hérissée et a feulé de manière menaçante. Il n’était pas question de partager sa place auprès de nous avec d’autres chats.
Je n’aime pas l’idée de mutiler un animal mais je ne me sens pas capable non plus d’euthanasier une portée de chatons. Alors quelques jours après nous l’avons déposée chez la vétérinaire pour la faire stériliser. Le soir lorsque nous l’avons récupérée elle avait son petit ventre rasé ainsi qu’un carré à hauteur d’une de ses épaules. Elle avait un pansement sur le ventre. On voyait qu’elle était patraque et dès que l’on effleurait son ventre elle poussait un miaulement à la fois de douleur et de menace.
Elle a mis une semaine avant de retrouver la forme. Il était évident qu’elle nous en voulait de lui avoir fait du mal. Elle nous a tourné le dos pendant plusieurs jours pour bien nous montrer sa rancune. Petit à petit le pansement est parti, les points de suture ont été enlevés et la petite cicatrice s’est atténuée. Les poils ont fini par repousser et elle a retrouvé son caractère habituel.
Nos chiens qui pourtant se font un devoir de mettre en fuite tous les chats qui viennent dans notre jardin ont compris qu’elle n’était pas un chat comme les autres. Et elle a aussi compris qu’elle n’avait rien à craindre de ces deux lourdauds. Je pense que mon gros Isaac qui a le cœur sur la patte devait la considérer comme un chiot un peu bizarre. Chaque fois qu’il la voyait il allait lui frotter le ventre avec son museau. Elle se mettait complaisamment les quatre pattes en l’air pour le laisser faire. Mais cette tolérance ne durait que quelques secondes. Dès qu’elle pouvait, elle se remettait sur se pattes et s’enfuyait avec un petit miaulement qui signifiant : « Bon, maintenant tu me lâches».
Becky était plus distante. Elle se contentait de remuer sa petite queue chaque fois qu’elle passait près de la minette. Becky est une chienne grise d’environ dix kilos assimilée caniche. Elle aussi a été abandonnée et sait ce que c’est que de devoir se débrouiller seule dans la rue. Elle en a gardé une habitude de farfouiller dans les sacs poubelle dès que j’ai le dos tourné et un penchant pour la nourriture avariée. Quand elle mange elle n’a plus d’amis. Un grognement menaçant fait vite comprendre à l’intrus éventuel qu’il n’est pas question de partager sa gamelle. Isis en a fait l’expérience et a vite respecté cette règle.
Isaac est un chien d’eau espagnol. Il est tout noir et ressemble aussi à un gros caniche. C’est un bon chien qui me suit comme mon ombre et qui selon mon épouse vit au ralenti dès qu’il n’est plus avec moi. Si quelqu’un vient à la maison, il se sent obligé de prendre dans sa gueule ce qu’il trouve, chaussure, coussin, etc. pour l’offrir au visiteur.
Isis a vite compris que Isaac était une bonne poire. Elle poussait le culot jusqu’à aller manger dans sa gamelle pendant que lui-même était en train de manger. La nourriture est toujours meilleure dans la gamelle des autres et le jeu de tous les trois était de voir ce qu’ils pouvaient se voler dans leurs gamelles respectives.
La confiance de Isis allait jusqu'à se pelotonner contre l’un ou l’autre des chiens quand ils dormaient sur le canapé et à s’endormir blottie contre eux.
Dès mon réveil elle me suivait dans la cuisine avec des miaulements. Même si l’on ne parle pas couramment la langue des chats de gouttière c’était facile à interpréter : « J’ai faim; donne moi à manger ». Elle savait où je rangeais ses croquettes et faisait des allers-retours entre sa gamelle, les croquettes et moi pour s’assurer que j’avais bien compris le message.
La vétérinaire m’avait dit qu’il ne fallait pas donner trop à manger à une minette stérilisée car elle risquait de prendre du poids. Mais comme elle était encore en phase de croissance, le matin après ses croquettes je lui donnais une demi boite de ces boites carrées en aluminium qui selon certains ne sont pas bonnes pour les chats mais qui de leur propre point de vue sont un vrai délice. Donc dès qu’elle avait mangé ses quelques croquettes du matin, les miaulements reprenaient avec des allers-retours au réfrigérateur pour réclamer sa demi boite. Dès que je la lui servais elle l’engloutissait avec des ronronnements de plaisir. Puis, dès qu’elle avait fini sa demi boite, elle se postait près de la porte de la cuisine en miaulant à nouveau pour nous signifier qu’il était temps de la laisser sortir pour faire sa promenade.
C’était elle qui orchestrait toute cette cérémonie du matin. Moi je n’étais que l’accessoiriste censé obéir à ses ordres. Il y avait d’autres cérémonies. Mais c’était toujours elle qui en décidait.
Pour Isis la nourriture était une obsession. Comme pour Becky c’était sans doute une réminiscence de sa période de chat abandonné. Comme elle avait compris que c’était moi qui lui donnais à manger, chaque fois qu’elle me voyait aller vers la cuisine elle arrivait en trombe pour me réclamer à manger. Alors je lui mettais quelques croquettes dans sa gamelle. Les chats mangent peu à la fois. Elle en mangeait trois ou quatre puis allait faire un petit tour ou faire sa toilette. Isaac et Becky surveillaient l’air de rien et dès qu’elle s’éloignait de sa gamelle un coup de langue discret nettoyait tout ce qui y restait.
Il m’arrive d’aller pêcher avec un ami. Ici dans l’Indre on pêche d’abord des petits poissons appelés vairons qui servent ensuite d’appâts pour pêcher les truites. Parfois les vairons supportent mal leur captivité dans un aquarium et meurent. Je les donnais alors à Isis qui les dégustait avec une certaine gloutonnerie.
Nous avons un petit étang dans lequel vivent quelques poissons rouges. Evidemment l’intérêt de Isis pour ces poissons s’est manifesté très vite. Un jour, elle s’est penché un peu trop et est tombée dans l’étang. Toute trempée elle ressemblait plus à un gros rat qu’à un chat. Sa majesté était horriblement vexée. Elle s’est retirée dans un coin à l’écart pour y refaire sa toilette.
Lorsque mon épouse et moi prenons nos repas les chiens ne sont jamais loin car même s’ils ne réclament pas, ils savent qu’ils arriveront toujours à glaner quelque chose. Isis s’est associé à ce manège et lorsqu’il y avait distribution d’un petit bout de viande ou de fromage, elle réclamait bruyamment sa part en exigeant d’être servie la première.
Mes talents culinaires sont relativement limités. Mais j’aime bien faire des spaghettis. Lorsque cela arrive, les chiens savent que eux aussi à la fin du repas vont avoir leur ration de spaghettis bolognaise. Ils les adorent. La minette a aussi appris à aimer mes spaghettis. S’ils étaient encore chauds elle attendait qu’ils refroidissent en les reniflant périodiquement.
Une autre cérémonie consiste avant d’aller nous coucher, à faire faire un tour aux chiens dans le jardin. C’est l’occasion pour eux de se soulager la vessie et les intestins, de s’assurer qu’il n’y a rien de suspect dehors, de flairer quelques brins d’herbe, d’écouter les aboiements des autres chiens, éventuellement de pousser aussi quelques aboiements, bref toutes les obligations d’un chien qui se respecte.
Isis a vite associé le mot « pipi » à cette promenade. Dès qu’elle l’entendait elle se précipitait à la porte et grattait avec ses petites pattes le montant pour bien me montrer qu’elle aussi était candidate à une ballade nocturne. Comme j’avais peur qu’elle se perde, je la prenais dans mes bras et je lui faisais faire ainsi son petit tour. Elle se sentait en sécurité dans mes bras et ne bougeait pas. Elle observait les étoiles, les rares véhicules qui passaient dans la rue, les va et vient des chiens, tous les bruits. Puis je la rentrais. Satisfaite de sa tournée, elle s’éloignait dans la maison sans un regard de remerciement. Les voisins qui m’ont peut être vu promener le soir ma minette devaient se dire que je devenais gateux.
Parfois lorsque j’étais assis sur le canapé devant la télé, elle arrivait, s’asseyait sur l’accoudoir du canapé, m’observait quelque temps puis s’installait sur mes genoux. Elle avait trouvé un creux où elle se sentait bien. C’était sa place. Alors elle fermait les yeux et sommeillait ou ronronnait. Elle n’aimait pas trop que je profite de ces moments pour la caresser ou lui faire des gratouilles. Elle se laissait faire un petit peu puis, lorsqu’elle estimait que c’était suffisant, elle s’en allait de sa démarche souple avec sa queue ondoyante.
D’autres fois elle se mettait sur mon ventre et faisait en ronronnant ce mouvement de va et vient que font les chatons à leur maman avec leur pattes de devant.
Il y avait aussi le jeu du plumeau. Mon autre fille m’avait donné ce jouet pour chats. Ce sont quelques plumes accrochées à une ficelle qui elle-même est fixée à une baguette souple. Isis adorait jouer à attraper le plumeau. Je le rangeais sur le dessus d’une petite bibliothèque. Lorsqu’elle estimait que le temps de jouer était venu, elle se mettait face à la bibliothèque et regardait fixement le plumeau. Jusqu’à ce que je comprenne le message. Alors je lui faisais virevolter le plumeau autour d’elle et elle faisait des bonds pour l’attraper. Isaac estimait que le jeu du plumeau était aussi un jeu de chien. Il se mettait aussi à sauter mais avec ses vingt kilos j’avais peur qu’il retombe sur la minette et lui fasse du mal. Alors je lui interdisais de jouer avec nous. Il poussait un soupir, s’allongeait sur le sol et nous regardait jouer d’un air brimé.
Petit à petit Isis a investi la maison comme elle a investi nos cœurs. Au début elle n’avait droit qu’au rez de chaussée de la maison. Puis nous avons cédé et l’avons laissée monter à certaines chambres de l’étage.
Le soir, lorsqu’elle considérait qu’il était temps de dormir elle montait dans une chambre où elle avait trouvé un fauteuil de relaxation. Elle s’y blottissait en boule et s’y endormait. Lorsque je la trouvais endormie et que je la caressais elle poussait des ronronnements de plaisir avant de se rendormir.
Malgré nos précautions, elle a réussi à rentrer dans notre chambre plusieurs fois. Nous la trouvions confortablement installée au milieu du lit, nous regardant comme s’il était tout a fait normal qu’elle se trouve là. Les intrus c’était nous. Lorsqu’elle se faisait virer, elle prenait un air de majesté outragée et sortait lentement de la chambre de sa démarche souple avec sa queue ondulante.
Parfois aussi je la laissais entrer dans la chambre pendant que j’y étais. Je lui ouvrais alors la fenêtre. Elle grimpait sur le fauteuil à côté puis de là elle sautait sur le rebord de la fenêtre et observait tout ce qui se passait dans la rue avec cette attention intense dont savent faire preuve les chats.
Nous avons attendu qu’elle s’habitue à la maison avant de la laisser sortir dehors. Elle a progressivement exploré le jardin élargissant peu à peu son rayon d’exploration. Elle s’intéressait à tout. Le bruissement des feuilles dans les arbres, les oiseaux qui passaient dans le ciel, les aboiements des chiens des voisins. Tout était pour elle sujet d’observation et d’étonnement. Elle se choisissait une cachette où elle pensait être en sécurité et elle observait. Lorsqu’un oiseau se posait à proximité d’elle, elle s’aplatissait, baissait ses oreilles et s’immobilisait en fixant intensément l’oiseau et attendant le bon moment pour lui bondir dessus.
Je lui ai montré le chien du voisin. C’est un bon gros chien qui fait son travail de chien de garde. Mais il n’en aurait fait qu’une bouchée si elle s’était aventurée dans son jardin. Elle a compris et n’est jamais tenté d’aller de ce côté-là. Mais la curiosité d’un chat est sans limites. Parfois je l’appelais mais elle restait introuvable dans le jardin. Isaac m’aidait à la chercher et arrivait quelquefois à la débusquer lorsqu’elle était cachée dans un buisson. Mais d’autres fois, je pense qu’elle était partie en expédition dans le voisinage. En principe dès qu’il se mettait à pleuvoir ou que les aboiements des chiens devenaient menaçants, elle rentrait à la maison.
S’il nous arrivait de sortir chez des amis et de rentrer tard, si elle était restée dehors, elle nous attendait près de la porte de la cuisine. Dès qu’on entrait dans la maison, elle se faufilait pour entrer aussi. Jamais depuis qu’elle a été avec nous elle n’a passé une nuit dehors.
Lors du week end du 14 juillet, nous avons reçu à la maison ma fille, mon gendre et mon petit fils accompagnés des parents de mon gendre ainsi que ma belle fille avec notre petite fille. Des amis se sont joints au groupe avec des chiens supplémentaires.
La maison était bien remplie et n’a jamais été aussi gaie. Les cris d’enfants y ont résonné pendant tout le week end. Mon petit fils a pratiquement fait ses premiers pas autonomes pendant ces jours de bonheur. Ma petite fille nous a fait une démonstration de danse sur la musique de la Reine des Neiges.
Mais tout ce bonheur bruyant n’était pas du goût de la minette. Surtout les nouveaux chiens qu’elle ne connaissait pas et qui la poursuivaient. Pendant la journée elle se tenait prudemment à l’écart. Le soir elle rentrait pour dormir. Comme toutes les chambres étaient occupées, nous avons fait une entorse à la règle et l’avons laissée dormir avec nous. Elle en ronronnait de plaisir.
Le dimanche lorsque tout le monde est parti, la minette avait disparu. J’ai pensé qu’elle était partie comme à son habitude en exploration et qu’elle allait rentrer le soir. Mais cette fois ci elle n’est pas rentrée. Je l’ai appelée sans résultat. J’ai pensé qu’elle s’était trop éloignée et n’avait pas retrouvé son chemin pour rentrer. Je me suis dit qu’elle rentrerait peut être pendant la nuit lorsque tout serait calme. Mais le lendemain Isis n’était toujours pas là. Alors j’ai fait à nouveau le tour du jardin en l’appelant. Sans résultat. Je suis sorti dehors pour faire le tour des environs. De l’autre côté de notre clôture, au pied du muret, il y avait un petit tas de poils. Elle était allongée sur le côté. Elle n’avait aucune blessure mais son ventre avait commencé à gonfler. A part cela, elle avait l’air de dormir. Elle n’avait pas eu la force de monter sur le muret pour rentrer chez elle.
Quelques jours avant elle était rentrée à la maison en tenant une souris ou un mulot dans sa gueule. Pas question de se laisser voler son trophée. Elle l’a finalement abandonné sur le tapis du séjour où nous l’avons trouvé le lendemain. Elle lui avait grignoté les pattes et les oreilles. Nous avons supposé que c’était elle qui l’avait chassé. Mais il est possible qu’elle l’ait trouvé déjà mort.
A la campagne les gens mettent du poison pour éliminer les petits rongeurs. Si un chat mange le rongeur, il s’empoisonne à son tour. Nous pensons que notre petite Isis a voulu croquer un rongeur qu’elle a trouvé et qu’elle en est morte. C’est très probable car elle n’avait pas de blessures apparentes. Mais n’avons pas de certitudes. Elle a aussi bien pu être heurtée par un véhicule ou mordue par une vipère. Mais je ne me sentais pas capable de la faire autopsier et de toute manière pour quoi faire ? Elle ne reviendra plus.
Ainsi finit la vie de notre petite minette. Une vie brève et banale de petit chat de gouttière banal. Mais cela m’a fait beaucoup de peine car elle avait pris une grande place parmi nous.
Ce week end du 14 juillet a été l’un des moments les plus heureux de ma vie. Il faut croire que tout en ce bas monde se paye y compris le bonheur. Et le prix pour ce week end extraordinaire a été la perte de ma petite minette. J’espère au moins qu’elle a été heureuse pendant le temps où elle a vécu parmi nous. Elle repose maintenant au pied des peupliers dont elle aimait tant écouter le bruissement.
A l’époque où des enfants se font massacrer, que des flux de réfugiés se noient en Méditerranée sans que personne ne se sente concerné, où des horreurs que je ne veux même pas mentionner ici sont commises quotidiennement dans l’indifférence générale, où notre pauvre Terre maltraitée et meurtrie est en train d’agoniser, s’apitoyer sur la mort accidentelle d’un petit chat peut sembler dérisoire. Cela l’est peut être. Mais pour moi c’est une partie de moi-même qui est partie et je le ressens ainsi.
Dans quelque temps, il ne restera pratiquement rien dans le jardin de ce que fut ma petite Isis. Elle aura complètement disparu dans les brumes du temps. Cronos dévore ses enfants. Gaïa continue à en créer d’autres. Alors j’ai voulu faire ce texte et le mettre sur Internet. Comme on jette une bouteille à la mer. Peut être qu’il ne sera jamais lu. Mais peut être que dans quelques années lorsque moi aussi j’aurai disparu, la seule chose qui restera de Isis et de moi seront ces quelques lignes stockées sous forme de signaux électriques dans l’immensité du réseau de l’Internet.
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