Le premier truc à connaître dans cette histoire, c’est qu’Alexandre Dumas adorait les chats, il avait créé avec quelques amis qui deviendront célèbres, Maupassant, Anatole France, Charles Baudelaire, une ligue de défense des félins, cela vers le milieu du 19ème siècle n’était guère commun, mais on verra que le clan Dumas était tout sauf commun...
Le deuxième truc à connaître, c’est que Dumas avait la répartie cinglante ; Il était mulâtre et donc souvent attaqué sur sa couleur de peau. Un jour, un connard lui dit : « Au fait, cher Maître, vous devez bien vous y connaître en nègres ?
Et Dumas de répondre du tac au tac : « Mais très certainement. Mon père était un mulâtre, mon grand-père était un nègre et mon arrière-grand-père était un singe. Vous voyez, Monsieur : ma famille commence où la vôtre finit. »
Voilà, on a planté le décor... Les chats peuvent entrer en scène...
Alexandre Dumas père, c’est « Les trois Mousquetaires » et « Le Comte de Monte Cristo », entre autres. C’est drôle d’ailleurs, vu le succès du bouquin, Dumas a appelé sa propre maison Monte Cristo... Son fils, Alexandre Dumas Fils, c’est « La dame aux camélias »... Entre autres. Bref famille de talent de père en fils. Mais le fin du fin, c’est que si les deux hommes portaient le même prénom, leurs chats ont été aussi appelés du même prénom, Mysouff.
Le père en a eu deux, le second s’est juste appelé Mysouff II...
C’est le premier qui est le héros de « Histoire de mes bêtes », dont on pourra lire un extrait ci-dessous. L’auteur habitait ce que l’on appellerait aujourd’hui le quartier Montparnasse, et son chat, dont il dit qu’il dût être chien, l’accompagnait chaque matin jusqu’à Vaugirard (ce qui fait quand même un bon km !).
Et ce qui est dingue, c’est que le soir venu, le chat sentait venir son maître de très loin, puisque quand Dumas rentrait, parfois fort tard, le maître avait une vie très dissolue, et le quartier Montparnasse était riche en lieux de fêtes et de perdition, le chat faisait le même km tout seul pour aller à la rencontre, et ce donc quelle que soit son heure de rentrée. A tel point que la mère de Dumas l’appelait « mon chien baromètre », car il lui indiquait si son fils rentrait ou pas...
Précisons qu’à l’époque, la gare Montparnasse n’existe pas, ou qu’en tous cas elle est loin d’être le colosse qu’elle est aujourd’hui.
Mysouff II eut aussi son heure de gloire... Trouvé dans les caves de Dumas, dans ce qu’il appelait donc le Château de Monte Cristo, il ne faisait pas le chien mais vraiment le chat sauvage. A l’époque, Dumas avait fait construire une volière exotique dans son jardin, il avait aussi des singes... C’était un moment de sa vie où l’auteur avait de l’argent et donnait libre cours à toutes ses envies plutôt excentriques...
Un jour, Mysouff II est entré dans la volière et y a fait un carnage, tuant tous les beaux oiseaux exotiques que Dumas achetait avec le bonheur du chercheur d’or qui a découvert sa première pépite... Chez Dumas tout est matière à originalité. Pour punir Mysouff II, un tribunal d’amis fut réuni. L’ami avocat plaida qu’en fait, la porte de la volière avait été ouverte par les singes et que dès lors, Mysouff II n’avait ensuite fait que son boulot de chat, chasser les oiseaux est assez naturel chez un greffier...
Dumas condamna quand même son chat à être emprisonné avec les singes pendant cinq ans mais au même moment, ruiné (une fois de plus !) il dut vendre cage et singes et le chat obtint le droit de rester à la maison. Et oui, chat de maestro, ce n’est pas tous les jours Byzance !
Alexandre Dumas Fils appela donc aussi son chat Mysouff, qui était aussi une sorte de chien, son maître l’emmenait jusqu’à la rue d’Assas, depuis la rue de l’ouest c’est encore plus loin que le chemin emprunté par Myssouf père, il fallait contourner le cimetière du Montparnasse, là c’était le vrai parcours du combattant. Il eût été intéressant pour la symbolique que les Dumas fussent enterrés dans ce cimetière, un endroit tellement magnifique (et l’un des rares cimetières Intra Muros à Paris) que certains s’y sont fait construire leur tombeau de leur vivant. Un célèbre humoriste a même fait graver sa date de naissance laissant le reste en blanc... Formidable endroit mais Dumas père est au Panthéon, le fils est au cimetière de Montmartre. Pour le symbole, c’est loupé. Mais pour le reste, l’histoire de ces chats est presque aussi intéressante, quoique beaucoup moins connue, que les trois premiers duels de d’Artagnan le jour de son arrivée à Paris.
Pour ceux qui aiment la belle langue de ce maestro de Dumas père, voici donc l’extrait de « L’histoire de mes bêtes »...
Mysouff, le chat baromètre
(...) Nous demeurions rue de l'Ouest, et nous avions un chat quis'appelait Mysouff. Ce chat avait manqué sa vocation : il aurait dû naître chien. Tous les matins, je partais à neuf heures et demie, il me fallait une demi-heure pour aller de la rue de l'Ouest à mon bureau, situé rue Saint-Honoré, n° 216, tous les matins, je partais à neuf heures et demie, et tous les soirs, je revenais à cinq heures et demie. Tous les matins, Mysouff me conduisait jusqu'à la rue de Vaugirard. Tous les soirs, Mysouff m'attendait rue de Vaugirard. C'étaient là ses limites, son cercle de Popilius. Je ne me rappelle pas le lui avoir jamais vu franchir. Et ce qu'il y avait de curieux, c'est que les jours où, par hasard, une circonstance quelconque m'avait distrait de mon devoir de fils, et où je ne devais pas rentrer pour dîner, on avait beau ouvrir la porte à Mysouff, Myssouf, dans l'attitude du serpent qui se mord la queue, ne bougeait pas de son coussin. Tandis que, au contraire, les jours où je devais venir, si on oubliait d'ouvrir la porte à Mysouff, Mysouff grattait la porte de ses griffes jusqu'à ce qu'on la lui ouvrît.
Aussi ma mère adorait-elle Mysouff : elle l'appelait son baromètre. Mysouff marque mes beaux et mes mauvais jours, me disait-elle, l'adorable femme : les jours où tu viens, c'est mon beau fixe ; les jours où tu ne viens pas, c'est mon temps de pluie. (...)