Chloé est autiste. Elle est adulte. Je ne vous dirais pas son âge parce que cela n’a pas d’importance et surtout parce que cela ne correspond pas à l’habituelle réalité des années, mais plutôt à un temps suspendu. Elle est très jolie avec une belle chevelure brune et de grands yeux.
Chiffon est une chatte de gouttière, elle n’est pas jeune sans être encore vieille. Elle est très jolie aussi.
L’une et l’autre se côtoient dans notre maison, l’une à intervalles réguliers, l’autre entre et sort à sa guise, le jour ou la nuit et selon la pluie et le beau temps.
Chloé est notre fille unique, pendant que Chiffon est le 7e chat de la maison.
On dit que les chats ont 7 vies, alors Chiffon est sûrement la réincarnation de notre premier chat. Mais selon le seigneur des mondes, Shiva, ce qui n’est pas rien, il y en aurait 9, donc attendons la suite du fabuleux destin.
Lorsque Chloé arrive à la maison pour le week-end, Chiffon, la sauvageonne, sait bien qu’elle est de la famille, elle se frotte dans ses jambes en signe de bonjour. Les bonjours de Chloé sont plus discrets.
Chiffon n’a pas le caractère extraverti, cependant comme tous les chats (ou presque) elle a l’oreille très attentive et nous prête une attention de chaque instant. Rien dans nos états d’âme ne lui échappe, elle a l’écoute silencieuse à la manière des plus grands psychologues, toutefois sans dogme ni jugement.
Chloé déteste être perturbée par de multiples intrusions dans son univers clos, sauf à sa demande explicite. Sa vie est très ritualisée, je crois que celle de Chiffon également. Chacune a ses raisons d'être ainsi.
Pendant ses séjours avec nous, Chloé est le centre de la maisonnée. Chiffon ne le prend pas mal, elle participe à sa façon en sentinelle vigilante. Lorsque Chloé s’installe sur le canapé du salon pour un moment de pause silencieuse, Chiffon la rejoint avec la juste distance et réserve. Le regard de Chloé se fait furtif, presque une mimique entendue dans le genre « l’air de rien, je t’ai vue ». Questionnant cette présence familière, elle se fige en oubliant ses gestes impulsifs.
Jusqu’au lit du soir, Chiffon ne lâche rien et reprend sa garde comme une mère chatte avec son petit. Chloé accepte cette occurrence, à condition de n’y voir aucune contrainte. Elles semblent s’accorder mystérieusement là-dessus.
Toujours est-il que Chloé n’a jamais le geste de crainte intempestif, juste parfois le mouvement esquissé d’un contact vers la minette, pourquoi pas d’une presque caresse et que Chiffon n’a jamais eu la griffe défensive pourtant si vive à son naturel.
À l’occasion, nous plaisantons sur le caractère un brin « autistique » de la chatte. Il nous arrive aussi d’appeler notre brunette « notre petit chat », mais il n’en reste pas moins que dans nos cœurs il n’y a aucune confusion possible, juste des questionnements :
Quelle est cette relation d’attachement étrange à nos yeux ? Que se disent-elles toutes deux dans le langage inaccessible à nos entendements ?
Brigitte Follys, avril 2020