C’est peut être cela le bonheur, des petits riens de la vie qui fait qu’on s’attache aux choses et aux êtres. Ces petits détails observés au fil des jours. Le livre de Hiraide Takashi décrit ces moments de bonheur insoupçonnés et fugitifs avec toute la poésie orientale. Un couple s’installe dans une maison située dans une impasse tortueuse, surnommée ”l’éclair”. Tout le charme de cette impasse émane d’un orme majestueux, des pins, des jardins fleuris et dans ce petit paradis apparait un chat, l’âme de ce jardin. Le couple va se lier d’amitié avec ce petit félin qui vient leur rendre visite tous les jours.
“Chibi était une merveille : la robe blanche parsemée de tâches rondes d’un gris noir légèrement nuancé de marron clair comme il est fréquent d’en voir au Japon, il était mince et élancé, et réellement tout petit”. Peu à peu, le petit chat va conquérir les coeurs de ses voisins qui le suivent avec attention dans ses balades, dans ses jeux, ses habitudes. Ce n’est pas un chat comme les autres : “ L’attention qu’il portait aux choses se déplaçait avec une rapidité étonnante, caractéristique qu’il n’a pas perdue, même en grandissant Etait-ce le fait de jouer seul la plupart du temps dans l’immense jardin qui lui avait appris à réagir avec vivacité aux insectes et aux lézards ? J’avais fini par croire qu’il était sensible aux métamorphoses invisibles du vent ou la lumière”. Il est vrai que le chat semble voir des choses que, nous les humains ne percevons même pas. C’est ainsi que le narrateur regardera vivre Chibi, jouer, chasser, dormir dans des positions variées, faire sa toilette, frémir aux bruissements des feuilles sous le vent.
“Reniflant dans tous les coins de la véranda, il jette des regards obliques, s’arc-boute sur les pattes de devant, bondit, cours parfois en tous sens, à une vitesse folle...” Il nous décrit le cadre où il vit avec les yeux du chat “Je crois que, pour Chibi, cet endroit représentait une forêt. Quand on flânait ensemble dans le jardin, son corps était à certains moments soulevé par des vagues, il communiait avec le lieu avant de se mettre à courir loin comme un fou, escaladait le sommet d’un arbre et comme s’il voulait s’échapper davantage encore, il balançait son corps dans le vide, tremblait avant de se préparer à bondir...”
Mais le bonheur est fugace. La disparition de cet être chéri est un déchirement pour le couple. Du fait de cette absence, le jardin a perdu son âme et son mystère. La séparation définitive d’avec ce charmant petit chat leur est insupportable. Il faudra de longs mois pour que le narrateur soit à nouveau ému par la vie qui reprend ses droits; il observe alors les libellules qui évoluent dans l’impasse. A quelques mètres de là, une chatte vient mettre bas ses chatons. La vie continue mais le petit Chibi restera toujours dans le coeur de notre narrateur.
Ce roman autobiographique d’un auteur au sens poétique développé, touche son lecteur par cette magie mystérieuse qu’apporte l’observation de la vie et exprime toute la délicatesse de l’âme japonaise. C’est aussi une réflexion profonde sur la mort. A lire pour tous les amateurs de ces instants de bonheur volés à la cruauté de la vie.