Notre premier chat, nous l'avions nommé Brutus. Il n’est pas anodin de nommer un chat, comme le dit T.S.Eliot : " trouver un nom de chat c'est un art délicat ". Pour la jolie siamoise Julie, j'avais pensé l'appeler « Lucie » en hommage à ma grand-mère, mais tout le monde s'y opposa. Chacun place le curseur de la morale à sa façon. Quant à Brutus, avec le recul des années, je trouve cela un peu abusif. La Rome antique faisait florès dans l'immeuble puisque le chat des voisins s'appelait Titus . Leur Titus était plus aimable que notre greffier, il aimait bien sa maîtresse qui pourtant ne s'appelait pas Bérénice mais Monique . Il nous avait été donné par une copine embarrassée par la portée de chatons que sa minette venait de lui faire en cadeau . Cadeau souvent recommencé lorsque l'on ne fait pas opérer les chattes ! Bref, je lui avais demandé de m'apporter le plus vif de la nichée et nous ne fûmes pas déçus. C’était un beau gouttière, taille XXL, robuste, plastron blanc, robe tigrée . Le vétérinaire m'avait dit qu’un animal de cette corpulence était rare . Observant sa vigueur débordante il était clair que sa nature s’accommoderait mal à l’étroitesse d’un appartement. Je me souviens que, encore tout minot, il était redoutable et me prenant pour un arbre à chat, grimpait sur mes épaules en ayant au passage réduit en lambeau mon collant et concomitamment mon épiderme . Disons que l'appellation « Felis Catus » bien que latine ne lui convenait guère et je me demandais en pauvre humain à la peau fragile si je n'avais pas plutôt affaire à l'espèce éloignée de son habitat naturel : le Felis silvestris silvestris, j’en perdais mon latin.
Dans ces années-là, suivant la tendance déco dictée par l’air du temps, nos murs étaient recouverts de tentures murales et les canapés ondulants et moelleux flattaient notre vanité de jeunesse . C'était sans compter sur le sportif matou qui transforma l'appartement en une grande salle de gymnastique tridimensionnelle . Il se trouve des moments où l'on touche du doigt que les injonctions réitérées et hurlantes du genre « Brutus arrête de te faire tes griffes sur le canapé « avaient une efficacité relative, tant l'animal n'était pas décidé à se soumettre à notre autorité . L'usage de notre langage a ses limites avec le chat, qui je le rappelle n'est pas un chien, on doit se faire une raison . « Chat qui ne dit mot ne consent pas pour autant » . Il avait un solide appétit en adéquation avec sa belle nature . Un jour de printemps, ayant préparé une botte d'asperges pour régaler la maisonnée nous les avions laissées refroidir sur un joli torchon, comme il est d'usage . La gourmandise de Brutus était mal estimée, il les avala une à une jusqu'à la dernière et en toute discrétion, le chameau ! Notre expertise en chat avait décidément des lacunes surtout en chat végane à ses heures . La cohabitation fut sportive, mais jamais ne nous vint à l'esprit de nous séparer de lui, dans un sens nous étions plutôt fiers de son esprit frondeur. Il avait comme tout chat qui se respecte ses quarts d'heure de folie surtout après avoir piqué un bon roupillon. Il se payait de véritables rodéos dans la maison avec dérapage plus ou moins contrôlé, atterrissage sur un meuble, dégageant les menus objets forcément sans importance qui s'y trouvaient. Comme nous étions absents toute la journée nous mettions ses exploits sur le compte de l'ennui, de ses besoins d'activité voire du manque de liberté. Plus tard, nous comprendrons que les chats les plus heureux sont ceux qui entrent et qui sortent de la maison à leur guise. Il est bon de savoir que ce sont eux qui décident de rester avec nous. C'est pour ça qu'on les aime. Nous en avions le pressentiment et pensions à la possibilité de le laisser prendre l'air à l'extérieur, après tout, la route n'était pas proche et le bois de St Cucufa près de l'immeuble pouvait lui être agréable . Avoir un chat en ville est toujours un dilemme cornélien ( pardon Racinien !) nos souvenirs d'enfance, les miens tout autant que ceux de mon mari étaient des rappels douloureux de nos minous à la vie plutôt courte . Bon, l'histoire de Brutus, ne dérogea pas à la règle. À sa première sortie il ne revint jamais. Nous ne saurons jamais si le besoin inextinguible d'espace lui fut fatal ou s'il préféra mener sa vie de felis silvestris et sans nous dire au revoir . Ave Brutus, atque vale .
Brigitte Follys
Janvier 2017