C'était il y a bien longtemps , c'était il y a une éternité, juste après-guerre pour situer la distance .
J'avais dans les 3 ans quand ma mère a quitté le domicile conjugal, sans armes ni bagages, mais avec sous le bras une fillette et un matou. Elle déposa le tout chez grand-mère en banlieue parisienne.
Le greffier en question s'appelait " Fouillis " et moi , on m'appelait ( surnommait !) " Titi ". Pourquoi Fouillis et pourquoi Titi ? Je ne l'ai jamais su, question de destinée; ces choses ne s'expliquent pas…..
En somme c'était « Titi » et Grosminet », en version moins animée, moins cartoon, moins yankee, mais plus tendre et nettement plus pacifique.
Fouillis était un chat dit de gouttières, un beau spécimen si j'en juge d'après les photos qui me restent. Il était paisible et charmeur et il a su plaire à toute la famille des oncles et tantes puisqu'on parlait de notre fraternel duo de nombreuses années après sa disparition.
Le matin, dès potron-minet, grand-mère prenait son sac à provisions et descendait faire les courses. Elle revenait avec du mou pour le minet et de quoi confectionner du gâteau de riz (avec des raisins secs , s'il vous plaît ) pour Titi.
Le chat et moi avions en commun des distractions contemplatives comme celle de regarder par la fenêtre l'animation de la rue et surtout la surveillance de l’arrêt du bus 128 au pied de l'immeuble .
Grand-maman m'avait prévenue qu'il ne fallait pas le laisser filer dehors au risque qu'il se fasse écrabouiller par la RATP. Cette prophétie de malheur m'inquiétait bougrement.
D'ailleurs c'était à juste titre, car c'est exactement ce qui s'est réalisé un mauvais jour, pour lui comme pour les générations de gouttières pur jus qui ont suivi. Depuis cette fenêtre, outre le ballet des voitures, autobus et passants, nous apercevions de l'autre côté de la rue un grand terrain de jeux constitué de jardins « ouvriers » assez courants à cette époque. Comme mon Fouillis, je ne comprenais que peu de choses aux activités déployées sur ces lopins de terre, mais ils étaient bien attirants. J'imagine les signaux visuels et olfactifs qui devaient assaillir le matou guetteur enfermé dans le deux pièces et pourquoi il s'y aventurait le soir venu lorsque la surveillance de l’aïeule se relâchait .
Mon père passait nous voir de temps en temps, je me souviens qu'il m'appelait son petit « Fouillis ». Cette confusion d'identité ne m'était pas plaisante. Malgré le lien indéfectible que j'avais pour mon chat, moi, j'acceptais, à la limite d'être Titi, mais assurément pas Fouillis. Le docteur Freud n'ayant pas été consulté à ce stade, je ne saurais jamais si ce syncrétisme affectueux m'a été préjudiciable .
Quant à ma mère, je ne voudrais pas que l'on pense qu'elle nous avait, en quelque sorte, abandonnés, moi et le matou ; elle avait durant ces difficiles années d'autres chats à fouetter !
Je ne puis me souvenir avec exactitude combien d'années nous avons vécues côte à côte, mais suis certaine que ce premier chat de mon enfance a, sur l'instant , beaucoup égayé mes journées de solitude et qu’il a déterminé pour toute ma vie l'impérieuse nécessité de vivre en compagnie de ces petits félins .
Brigitte Follys du Poitou, novembre 2015