Corto Maltese, héros des plus phénoménales BD que je connaisse, parle aux chats, assis sur un vieux puits de Venise, sous un croissant de lune qu’il dit lui-même turc...
C’est en relisant l’album d’Hugo Pratt « Fables de Venise », que j’ai retrouvé ce formidable dessin. Page 34...
Album phénoménal, Pratt a vécu à Venise, qui a durant des siècles été le grand marché européen d’entrée des épices et des soieries en Europe, le port où arrivaient les produits magiques du Moyen Orient et de l’Arabie heureuse, qui avaient d’abord transité par le désert. Dans cette ville richissime, le mélange de symboles arabes, juifs, grecs, et même runiques, autrement di l’écriture des vikings, le tout imbibé de la culture extrême de Pratt pour la poésie et la franc maçonnerie, transforme l’album en une découverte secrète...
L’album est d’ailleurs sous titré « Surat Al Bunduqyyiah », « Fable à Venise » en arabe, et d’une mystérieuse abréviation (chaque point est triple, appartenance maçonnique oblige), A.L.G.D.G.A.D.L.U. , la formule la plus sacrée des frangins, « A la gloire du Grand architecte de l’Univers », phrase qui ne se prononce jamais, ne s’écrit pas autrement qu’en abréviation...,
Dans cet univers totalement ésotérique, Corto raconte aux chats ce qu’était le paradis, dit Jardin d’Eden. Le truc d’ailleurs étonnant c’est qu’il y a à Venise un endroit très secret appelé Jardin d’Eden ! Bref, dans celui que raconte Maltese, il y avait là tout ce qui pou
vait faire le bonheur des chats y habitant, du foie de volailles, des petits rognons, de la viande hachée, des bols de lait et aussi une arête de poisson interdite... qui ressemble comme deux gouttes d’eau à l’arbre au serpent et à la pomme interdite sur laquelle s’est jetée Eve, jetant elle et tous les hommes hors du paradis.
Il me semble qu’il y a dans tout ceci une vraie morale, en dehors de toute croyance religieuse... les chats, eux, ne sont pas tombés dans le piège et sont donc restés au paradis. Leur bonheur permanent, l’émotion, la joie qui nous saisissent en les voyant, en les caressant, vient peut être delà finalement, notre vie devenue un enfer est dopée par la leur, heureuse par définition...
C’est vrai que leurs regards viennent d’un monde que nous avons perdu... et dont nous sommes évidemment tous nostalgiques pauvres, et riches. Merci à Corto Maltese et son père créateur Hugo Pratt d’avoir ouvert en un seul dessin une porte sur le mystère de la fascination du chat sur l’homme...