Voilà une nouvelle incroyable ! Nous la découvrons grâce à d’Evariste Huc, religieux de l’ordre Lazariste, né à Caylus en 1813 et voyageur missionnaire en Chine et au Tibet. Homme célèbre au XIXème siècle. Il a remis la ville de Lhassa à l’honneur, entre autres.
Un truc m’interpelle totalement dès le départ,, qui n’a pourtant rien à voir avec notre histoire mais voilà, quand on aime les chats, on aime tout ce qui est merveilleux… Evariste est donc né à Caylus, ce qui me rappelle de beaux souvenirs de gosse (et d’adulte…) Isabelle de Caylus était l’épouse secrète du Duc de Nevers qui donna le secret de sa fameuse « Botte de Nevers » à Lagardère, (Film Le Bossu) avant de mourir assassiné…
Bon, Evariste.
Au cours de ses pérégrinations en Chine, un gosse lui apprend que l’on peut lire l’heure dans les yeux d’un chat.
Je cite le monsieur Lazariste… « Nous lui demandâmes, en passant et par désœuvrement, s’il n’était pas encore midi. L’enfant leva la tête, et, comme le soleil était caché derrière d’épais nuages, il ne put y lire sa réponse.
— Le ciel n’est pas clair, nous dit-il, mais attendez un instant...
A ces mots il s’élance vers la ferme et revient quelques minutes après, portant un chat sous le bras.
— Il n’est pas encore midi, dit-il, tenez, voyez...
En disant cela, il nous montrait l’œil du chat dont il écartait les paupières avec ses deux mains. Nous regardâmes d’abord l’enfant, il était d’un sérieux admirable ; puis le chat qui, quoique étonné et peu satisfait de l’expérience qu’on faisait sur son œil, était néanmoins d’une complaisance exemplaire.
— C’est bien, dîmes-nous à l’enfant ; il n’est pas encore midi, merci. » Fin de citation
Evariste Huc a beau être croyant, il doute quand même un peu du truc, et il enquête, auprès de gens « sérieux », ce qui, sous la plume d’un Lazariste, signifie que ces gens sont chrétiens.
La réponse est que la pupille du chat se rétrécit au point de devenir une simple ligne quand on approche de midi et qu’elle s’élargit à nouveau ensuite.
Je n’aurai pas l’outrance de m’opposer à la proposition du missionnaire, il me semble toutefois avoir lu que la pupille du chat se rétracte ou s’élargit sous l’effet de la lumière, mais après tout, les deux sont peut-être possibles ! la frontière du réel et du merveilleux est parfois peu nette. On par exemple que la quasi-totalité des faits exposés dans la Bible ont été confirmés par la science, c’est ensuite que les exégètes en ont fait leur credo, ce qui est une sorte d’escroquerie intellectuelle mais là n’est pas notre débat.
En revanche, mêler un tantinet de science et un soupçon de merveilleux est toujours une belle histoire, pouvant aller, comme dans le « Da Vinci Code », d’un foutage de gueule historique total, à un mélange très crédible chez Umberto Ecco et son « Nom de la Rose…
Il est sûr que si l’on ouvre de force les paupières d’un chat en pleine lumière, la pupille va devenir une toute petite fente. Si l’on fait la même chose au soir tombant, la pupille sera en revanche plus dilatée.
Et puis, un missionnaire n’irait pas mentir quand même, c’est pêché non ?
Alors, dont acte, cher Evariste, le chat donne l’heure, avec cependant plusieurs problèmes à la clé.
Le premier a été relevé par l’auteur lui-même, qui avait peur que cette révélation ruine les horlogers.
Ce point là est réglé, c’est non, j’ai vérifié à La Chaux-de-Fonds en Suisse, l’industrie horlogère marche toujours très bien et il y a des chats plein la ville…
Le deuxième problème est la précision, car si l’on peut imaginer qu’au dix neuvième siècle on se foute un peu qu’il soit midi-moins-le-quart ou midi-vingt, aujourd’hui, d’abord le temps c’est de l’argent et dans certains milieux professionnels comme le mien, les sports mécaniques, on compte en millièmes de seconde et j’ai peur que le chat/chrono soit un peu dépassé.
Enfin, puisque l’on est dans le merveilleux, je ne résiste pas au plaisir de laisser la conclusion de cette histoire à Baudelaire, qui n’est guère plus croyant que moi mais bien meilleur écrivain !
« Pour moi, si je me penche vers la belle Féline, la si bien nommée, qui est à la fois l’honneur de son sexe, l’orgueil de mon cœur et le parfum de mon esprit, que ce soit la nuit, que ce soit le jour, dans la pleine lumière ou dans l’ombre opaque, au fond de ses yeux adorables je vois toujours l’heure distinctement, toujours la même, une heure vaste, solennelle, grande comme l’espace, sans divisions de minutes ni de secondes, – une heure immobile qui n’est pas marquée sur les horloges, et cependant légère comme un soupir, rapide comme un coup d’œil.
Et si quelque importun venait me déranger pendant que mon regard repose sur ce délicieux cadran, si quelque Génie malhonnête et intolérant, quelque Démon du contretemps venait me dire : « Que regardes-tu là avec tant de soin ? Que cherches-tu dans les yeux de cet être ? Y vois-tu l’heure, mortel prodigue et fainéant ? » je répondrais sans hésiter : « Oui, je vois l’heure ; il est l’Éternité ! »