Didier van Cauwelaert (1) est un écrivain très connu, surdoué de la plume mais parfois un peu mystique. Son obsession, et son succès, viennent de sa croyance aux phénomènes impossibles, ce qui est le cas avec une histoire de chat résumée ci-dessous, qui aurait sauvé son maître d’une mort épouvantable par gangrène, et ce depuis l’au-delà car le chat en question était mort depuis longtemps. Le mot mystique est peut-être finalement un peu faible…
Je ne suis pas cartésien au point de ne jamais admettre l’inexplicable, la science humaine est encore naine face au monde dans lequel nous vivons, nous sommes déjà incapables de chiffrer correctement le nombre d’espèces animales ou végétales existant aujourd’hui, nous sommes tout aussi incapables d’empêcher les rages de dents et les séances de torture façon « Inquisition » chez le dentiste, alors expliquer l’au-delà…
Donc l’histoire de Van Cauwelaert. Sur une séance de dédicaces, un de ses lecteurs est venu lui raconter son histoire. Dossier médical à l’appui. Il est donc (le lecteur) tombé d’un cerisier dans lequel il était monté, une branche a cassé, boum, chute, le coup archi-classique qui coûte une blinde chaque année à la sécu, tout comme les mecs qui soulèvent la tondeuse à gazon sans arrêter le moteur et perdent quatre doigts d’un coup. Au passage, la branche cassée lui ouvre la jambe, il se soigne mal, attrape la gangrène et l’hôpital lui annonce l’amputation comme seule solution possible.
Bon, on peut déjà douter, ou avoir du mal à comprendre : si le coup de la branche cassée est classique, il faut que le blessé habite vraiment un coin très paumé pour ne pas se faire soigner au point de choper la gangrène ! Certes, le formidable système de santé à la française a du plomb dans l’aile depuis qu’un précédent gouvernement, et oui, tout le monde fait des conneries, a institué qu’un hôpital doit gagner de l’argent, ce qui est absurde par définition, mais de là à se laisser pourrir… Bon admettons.
Ensuite, je cite l’auteur qui vient de publier en octobre 2013 chez Plon le Dictionnaire de l’impossible.
« La veille du jour fixé par le chirurgien, il était descendu dans la rue avec sa canne pour, une dernière fois, emmener promener sa jambe, disait-il avec cette douceur résignée des gens simples face à l’irrémédiable. C’est là qu’il croisa une dame inconnue qui sursauta, à sa hauteur, sans s’arrêter. Machinalement, il tourna la tête après quelques instants. Elle s’était figée sur le trottoir et le fixait, l’air en suspens, aussi étonnée que lui. Semblant dominer une hésitation, un vrai trouble, elle revint soudain vers lui.
- Pardon, monsieur, mais on me dit de vous demander une chose. Vous avez un souci à la jambe, non ?
Il répondit par un pauvre sourire. Avec sa canne et sa guibole gonflée sous le bandage, pas besoin d’être extralucide pour en arriver à cette conclusion. Elle enchaîna :
- Vous avez un chat ? Parce que c’est à lui qu’il faut demander. Excusez-moi. »
Bon, le coup de la voyante extra-lucide, qui aborde même le client dans la rue, là, j’ai encore un peu plus de mal à suivre, mais enfin, outre que c’est bien écrit, il est rapporté par les scientifiques des phénomènes de transmission de pensée humaine. Or, ce que peut faire un con d’ordinateur, un cerveau humain entraîné doit y arriver aussi. Donc, pourquoi pas ? La gangrène, une voyante faisant aussi office d’antenne radio, ça fait beaucoup mais il y a des gens qui ont des vies compliquées…
Après c’est un peu du domaine de la sorcellerie, mais je vais encore suivre. J’ai déjà écrit mon absolu désintérêt pour la chose divine et mon envie, s’il existait, de fréquenter ce fameux diable qui me paraît nettement plus intéressant à connaître durant une vie plutôt que les préceptes barbants et plaisirophobes imposés par toutes les religions.
Le lecteur de Van Cauwelaert avait effectivement un chat, il s’appelait Mozart (on voit arriver le surdoué…) mais mort depuis six mois, à l’âge de treize ans soit l’équivalent de 68 ans chez un homme, voir notre lien
Bon, le vrai surdoué, Mozart, est mort à 35 ans mais je chipote…
Après cette rencontre (j’abrège, je ne suis pas écrivain et n’ai ni le talent ni l’envie d’enfiler les lignes comme des perles), le lecteur rentre chez lui perplexe et trouve sur son canapé des poils de Mozart. Ce qui après la sorcellerie, concept que j’aime bien mais qui remet en cause bien des certitudes collectives, jette le doute sur la propreté de l’appart du lecteur et/ou sur la qualité de son aspirateur, dont j’ignore la marque. Van Cauwelaert ne se préoccupe pas de ce genre de détail (vieux principe romain : De minimis non curat praetor…) mais bon, on revient aux poils de Mozart.
Et… revoilà l’aspirateur, qui, d’un détail, va devenir un acteur principal du miracle ! Et donc intéresser notre auteur à succès. Car son lecteur, mû par une sorte de « jeannedarquerie » déclenchée par les poils sur le canapé et les prévisions de catwoman, va se précipiter sur l’aspirateur sus-cité et le passer rageusement sur le canapé sus-cité, récupérant ainsi un paquet de poils.
Il étale alors les poils en direct sur sa plaie et refait le pansement par-dessus. Le lendemain, tout ça pue comme le pourri, c’est logique, il ôte le pansement et s’aperçoit que cette saloperie d’infection a été aspirée par les poils du chat, il jette le tout et constate que sa plaie a changé d’aspect. Il fonce à l’hosto, qui confirme que la plaie est en train de cicatriser, il y en a cent pages dans le dossier médical apporté par le lecteur à notre auteur vedette. Plus d’amputation, cicatrisation en bonne voie, jambe sauvée. L’auteur parle de miracle, sous-entend très fort que la dame croisée dans la rue était « réceptive » (en fait la Jeanne d’Arc « bis » c’est elle !). Mais une belle histoire sans témoignage perso reste une anecdote, sauf pour le veinard qui découvert les vertus du poil de chat.
Van Cauwelaert raconte son calvaire à lui, une sigmoïdite aiguë, évidemment incurable sauf à coups de bistouri. Il s’agit d’une infection du colon, qui peut se soigner par la chirurgie mais ce qui est vachement bien c’est que dans ce cas précis, le médecin a une entrée naturelle, assez large, vers l’intérieur du patient, et peut y glisser un mètre d’appareillage avec caméra, éclairage, laser etc… Mais chez un auteur à succès, ce serait assez vulgaire d’écrire qu’il va prendre un mètre de tube dans le c… !
Bref, pour éviter l’intubation, le dit auteur implore l’assistance de ses deux chattes mortes et ça marche ! Mouais…
Il y a partout des gens prêts à croire à tout, surtout quand ils souffrent. J’avoue que lors de mes (rares, heureusement !) très fortes douleurs, j’aurais été ravi de remplacer les doses massives d’antalgiques et les passages sur le billard par un ou deux « cattus noster »… J’essaierai la prochaine fois, mais mon problème est que je doute et justement je doute que le doute soit très efficace en cas de demande de miracle. Tant mieux si ça marche, ce qui est le cas chez notre auteur et chez son lecteur, ce qui nous fait deux cas de guérison inexplicable sur quelques millions de cas où le bistouri a fait son œuvre.
Quand au fait que les poils de chat puissent aspirer une infection pourquoi pas ? Il n’y aucun doute sur la capacité des médecines traditionnelles, à base d’ingrédients végétaux ou animaux, qui parviennent à guérir telle ou telle maladie. Bon, après, on arrive à des conneries qui font massacrer les rhinocéros parce que la poudre de corne donnerait à ces messieurs d’Asie des érections de titans, mais la médecine naturelle marche, c’est évident. Pas tout le temps et pas à tous les coups mais il est connu que par exemple les infections urinaires ont été soignées par les médecins bien avant l’invention des antibiotiques. Mais pour y voir la voie et la voix divines, ou l’action venue de l’au-delà, deux possibilités. La première, c’est d’être un pigeon, ça je veux bien l’être, le premier à se faire avoir sur les marchés par les camelots qui vendent les produits miracles c’est moi ! Mais sous-entendre que Van Cauwelaert soit un camelot serait au minimum désobligeant et au maximum matière à procès…
Deuxième possibilité, il faut être crédule, naïf, candide et finalement croyant, et je laisse ce point à la disposition et donc à la sagacité de chacun de nos lecteurs…
Paul Valery a écrit que « Le mensonge et la crédulité s’accouplent et engendrent l’opinion », voilà un précepte auquel je souscris totalement, j’ai en fait peu de tendresse pour l’homme en général et encore moins pour sa capacité à croire n’importe quoi…
(1) Didier Van Cauwelaert est un écrivain à succès : Prix Goncourt, Grand prix du Théâtre de l'Académie française, il a aussi obtenu le prix Science-Frontières de la vulgarisation scientifique. Didier Van Cauwelaert a également participé à de nombreuses expériences sur les états modifiés de conscience et les pouvoirs de la pensée. Il vient de publier en octobre 2013 le Dictionnaire de l'impossible, chez Plon.